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Rrose Selavy est une cousine à moi
7 septembre 2015

J'ai mal à ma France...

Alors oui, on est tous Aylan, comme on a tous été Charlie, mais pour combien de temps? un jour, une semaine, un mois? Un petit garçon échoué sur la plage comme un déchet, comme une bouteille en plastique jetée à la mer par un touriste. Oui je suis cette touriste comme tous les autres, pas pire mais pas mieux, surtout pas mieux. Moi aussi j'ai été Charlie, combien de temps? Combien de temps a-t-il fallu pour que mes lâchetés ordinaires reprennent le dessus? Etre Charlie, c'était être droit dans ses bottes, ne pas baisser son froc. Et pourtant... Combien de temps pour que je redevienne ce petit singe qui ne voit rien, n'entend rien et ne dit rien; un connard de petit singe ascendant mouton qui feint l'indifférence quand une remarque raciste parvient à ses oreilles, tout ça pour que le repas de famille ne tourne au pugilat. Oui, qui jettera la pierre à qui? Qui ne l'a pas déjà fait, faire semblant de ne pas avoir entendu la blague homophobe de tonton René pour ne pas que le mariage de la cousine Julie ne finisse en eau de boudin. Qui n'a pas usé et abusé de ces petits arrangements avec soi-même? Baisser son froc, ménager le chou, la chèvre, le loup, la crémière, le beurre et l'argent du beurre.

Combien de temps serons-nous émus de ce cliché tragique pendant que nous cajolerons nos enfants en pensant "heureusement que c'est pas les miens". Combien de temps pour que les choses redeviennent normales dans notre vie normale. Car non c'est ça qui n'est pas normal, qu'un gosse meurt noyé comme tant d'autres parce qu'il fuit la guerre la faim la fin les persécutions (rayez la mention inutile) ou dans l'espoir d'avoir juste un dizième de ce que nous on trouve normal d'avoir, de ce qu'on ne voit même plus. Pas normal qu'un gosse finisse ses jours de l'eau plein les poumons et la tête dans le sable, comme dans les pires cauchemars que je fais parfois. Ce qui est normal, c'est qu'il aie un toit, qu'il mange à sa faim et qu'il marche sans peur dans les rues de sa ville.

Et puis tonton René il ira de son couplet. Pourquoi on n'aide pas d'abord nos SDF, hein, tant qu'à faire... Nos SDF... Demandons donc à nos SDF ce qu'ils en penseraient. Personne n'a dit de déshabiller Paul pour habiller Pierre. La souffrance et la misère n'ont pas de frontière. Si tonton René voyait une personne se faire agresser dans la rue, lui demanderait-il ses papiers avant de la sauver? Et si la misère était moins pénible au soleil, pourquoi donc les migrants d'Afrique quitteraient leur soleil brûlant pour la pluie collante et maussade de la Grande Bretagne, Eldorado humide et froid, dormir dans un paradis gris, une Europe fantasmée, une terre promise. Si on ne choisit pas les trottoirs de Manille, de Paris ou d'Alger pour apprendre à marcher comme dans la chanson de Maxime Leforestier, les armes et la drogue voyagent mieux que les êtres humains sur cette planète. Les marchandises, légales ou illégales, franchissent plus facilement les frontières internationales. Alors à moins de s'appeler Marie-Jeanne, le migrant qui cherche une terre d'accueil trouve de plus en plus souvent au mieux portes closes au pire la mort.

Zimako, le nigérian, est arrivé il y a quelques mois à Calais, arrêté dans son périple, par la Manche et la frontière franco-anglaise. Il présente au journaliste télé son abri d'infortune, dans l'immense camp de migrants que les calaisiens ont baptisé "la jungle". La jungle, terme humiliant et dégradant pour des conditions qui le sont tout autant. Zimako a construit de ses propres mains une petite salle de classe, dans le camp, où dorénavant des calaisiens bénévoles se relaient pour donner des cours de français. Zimako a de l'espoir, de l'espoir pour dix, de l'espoir pour cent, de l'espoir pour mille. Et Zimako a le sourire. Zimako a tout laissé derrière lui mais il a le sourire, un sourire qui illuminerait la rame d'un métro parisien un lundi matin. Il n'a plus rien, que son sourire et de l'espoir pour mille.

Et moi, j'y connais rien en géopolitique. Je ne sais pas tenir une conversation argumentée, circonstanciée, avec des chiffres, des faits, des dates. Je n'ai pas de solution, je vis dans le monde des bisounours, je suis née du bon côté de la barrière. Eux ils n'ont rien, et moi j'ai Tout. Et j'ai pas besoin d'avoir faire Saint Cyr pour avoir mal, pour être mal, pour avoir mal à ma France...

 

 

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