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Rrose Selavy est une cousine à moi
9 juillet 2014

Celui qui rêvait à autre chose...

J'aurais aimé pouvoir lui dire que tout allait changer. J'aurais aimé pouvoir lui dire que tout allait s'arranger. J'écoute les confidences qu'il ne me fait pas, les confidences qu'il fait à d'autres, au téléphone à son frère ou griffonnées dans des sms à ses collègues, sans doute pour ne pas me chagriner, pour ne pas m'inquiéter. Il est des hommes qui ne transigent pas, ni avec eux-mêmes, ni avec les autres, consciencieux, droits, intègres, qui ne tolèrent ni le trop peu, ni l'à peu près. On l'aime ou on le déteste mais il ne laisse personne indifférent. Parfois, souvent, sa réputation le précède et il se présente à des gens qui connaissent déjà son travail.

Quand on s'est rencontré, il arrivait que son zèle m'agace, ces longs moments à faire de la programmation, ou à monter, à démonter des PC, la tête dans des boitiers. Des séances de shopping devant des vitrines pleines de boîtes, à comparer les puissances, les performances mais aussi et surtout les prix qui devaient convenir avec nos bourses d'étudiants fauchés. Il était l'homme de la situation pour vous monter un PC qui dépote à un prix défiant toute concurrence, il l'est toujours... Puis vint un vrai CDI, dans une petite boîte, en banlieue parisienne, un projet nouveau-né à la grande époque des start-up, de celles où les commerciaux vous promettaient monts et merveilles et où de petits jeunes fraîchement diplômés exauçaient vos souhaits à coup de litres de cafés et de nuits blanches. Des nuits à écrire du code et à dormir quelques heures avec pour berceuse le ronflement des PC. Des jours à bosser, à trimer sans même se rendre compte que le soleil s'est couché. Tout ça pour rendre à temps et à l'arrache un projet tout beau, tout propre, à des clients dont l'avenir était tout aussi incertain.

Aujourd'hui, que reste-t-il de tout ça? Peu de boîtes ont survécu, les autres ont fait naufrage. Alors il a fallu sauver les meubles et s'accrocher à un autre radeau, du moins un temps seulement, juste le temps d'atteindre la terre ferme et d'intégrer une entreprise qui lui évoquait la promesse d'un avenir serein, confortable et stable. De cette époque, j'ai le souvenir d'une équipe unie, pas un mois ne passait sans qu'ils ne se retrouvent autour d'un repas, tous, le temps d'une soirée à discuter de sujets obscurs pour moi mais passionnants pour eux. Bien sûr tout n'est jamais rose mais l'homme avait le sourire et c'était déjà bien plus qu'il n'en fallait. De cette époque, une vieille photo qui traîne au fond d'un tiroir, ils ont le sourire mais dans leurs yeux on peut lire qu'ils savent tous qu'il n'y aura pas de prolongations, que toutes les choses agréables ont une fin.

Puis l'équipe a été dissoute. Je ne sais pas si la vraie cassure date de là mais c'est très probable. La paie a augmenté mais le travail a changé. De grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités. Finies les nuits à coder devant le PC, bonjour les week-ends à cogiter, le sommeil perturbé, les insomnies, les projets à chiffrer, les réunions qui se suivent et se ressemblent, mais surtout les susceptibilités à ménager et les politiques à supporter, les ambitions des uns, les lâchetés des autres.

Alors je vois son air soucieux quand il rentre le soir. Je sais son découragement, sa déception, et toute la colère qu'il emmagasine et qui le ronge à l'intérieur. Je sais son effroi de voir combien certains responsables persistent à scier la branche sur laquelle ils sont assis, ou combien d'autres manoeuvrent à conserver leur place au soleil au prix de manigances qui lui font horreur. Je sais aussi que tout se bouscule dans sa tête, qu'un nouveau job reculerait son projet d'acheter une maison, un petit jardin pour voir ses enfants jouer, barbecue l'été, bonhomme de neige l'hiver.

Mais ce que je sais aussi c'est que toute la pelouse du monde ne pourrait remplacer le sourire de l'homme de la maison, que je ne veux pas d'une jolie maison et d'un amoureux triste. J'ai confiance en lui et même si il se plantait (ce qui est fort peu probable), je suis là, son fils, sa fille, on fera front. On se battra, même si il faut tout recommencer, ailleurs, autrement.

Toi qui est toujours le premier à pousser les autres pour qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes. Toi dont l'esprit se nourrit de challenges, de défis, de casse-têtes. Toi que j'admire et à qui je ne le dis pas assez. Toi qui ne peut plus aller au boulot sans avoir le coeur gros. Je te regarde t'éloigner, depuis la fenêtre, tu as les yeux dans le vagues, tu rêves d'autre chose, quelque chose de plus stimulant, de plus beau, de plus grand. Alors, bordel de merde, qu'est-ce que tu attends?!!!

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